Comment vivre un accouchement serein et en phase avec nos aspirations ? Je crois qu’une des clés réside dans la liberté que l’on s’offre pour accoucher. Se « préparer » consisterait alors à se libérer… des injonctions, des procédures médicalisées, mais surtout de notre imaginaire, de nos propres croyances et de nos peurs. 

Lorsque j’ai appris que j’étais enceinte de ma fille aînée, après une immense joie à l’idée d’accueillir un enfant, j’ai rapidement ressenti m’envahir une grande peur : il allait donc bientôt me falloir accoucher, moi aussi. J’avais en tête cette image de l’accouchement dans les films : une femme allongée sur le dos, pieds dans les étriers, entourée de personnes en blouses blanches ou bleues très affairées, en train de pousser de toutes ses forces et de crier. Cette image rimait pour moi avec contrainte et douleur, comme un rite initiatique de femmes, une sorte de bizutage qu’il faudrait endurer. J’étais d’ailleurs nourrie par les récits des femmes autour de moi dont les expériences étaient très contrastées, et pour certaines, malheureusement traumatiques.

Je savais qu’il était possible d’accoucher « naturellement » et même si je ne voyais pas encore vraiment ce que ça pouvait vouloir dire, j’avais l’intuition qu’il me fallait explorer cette voie. J’ai alors plongé dans de nombreuses lectures (et vidéos), et notamment « Le guide de la naissance naturelle » d’Ina May Gaskin. Toutes ces informations nouvelles et surtout ce livre m’ont bouleversée : j’y ai découvert que l’accouchement pouvait être une expérience de puissance, une rencontre avec soi, un moment de joie, et qu’il m’était ainsi possible de le vivre en étant pleinement libre.

Libre de choisir mon lieu d’accouchement, libre de bouger, de danser, de chanter, de vibrer, de grogner, de hurler, libre de choisir la position pour faire venir mon enfant, libre de manger et de boire, libre de donner à mon corps et à mon enfant le temps dont ils auraient besoin, libre d’être nue, d’être dans l’eau, libre de vivre une jouissance.

Petit à petit, le « film » de mon accouchement, celui que je me faisais dans ma tête en avance (en fait je faisais des visualisations positives sans le savoir) a évolué. J’ai commencé à imaginer cette femme qui se fait confiance, qui retrouve son animalité instinctive et je voyais ce corps bouger au rythme des contractions, j’entendais des sons comme une mélopée : l’accouchement comme une grande danse de la vie.

Et puis, j’ai accouché. Et j’ai chanté, et j’ai dansé, et j’ai ri et j’ai pleuré de douleur aussi. J’ai eu peur, j’ai eu confiance, tout était bouleversé mais j’ai traversé, on a traversé, ensemble avec mon mari et ma fille, ce passage. Une fois arrivée de l’autre côté, j’en étais maintenant tout à fait sûre, accoucher est bien un rite initiatique mais c’est une expérience transformatrice et qu’on peut choisir de vivre comme telle, et non pas la subir.

C’est ainsi qu’est né le film documentaire Enchantement, j’ai eu envie de matérialiser cette vision d’une femme puissante, libre de ses choix, respectée et entourée. J’ai eu ce souhait de proposer à toute future mère la possibilité de faire évoluer son imaginaire et d’emprunter, à son tour, sa propre voie vers une expérience de maternité enchantée.

Depuis 1 an maintenant que le film est sorti, j’ai pu échanger avec de nombreuses femmes et recueillir leurs récits intimes et si touchants. Je garde de ces échanges et de mes deux propres expériences d’accouchement quelques pistes pour accoucher sereine, puissante et libre :

  • Etre actrice de son expérience de maternité : s’informer pour se donner le choix. En connaissant le déroulé physiologique d’un accouchement, les différentes étapes, les conséquences de chaque acte médical possible, chaque femme et chaque couple peut prendre ses décisions en conscience. C’est la base du « consentement libre et éclairé » : en étant informée, on peut créer un dialogue avec les équipes médicales et redevenir actrice de son propre accouchement.

 

  • S’offrir le choix du lieu où l’on va accoucher. De la même façon qu’on prépare le nid, il nous faut « aménager notre grotte », ce lieu de sécurité où l’on va pouvoir donner naissance en confiance. Cet espace sera différent pour chacune, à domicile, en maison de naissance, en plateau technique avec une sage-femme libérale, à l’hôpital public, en clinique privée avec garantie de la présence de son gynécologue. Nous n’avons pas toutes les mêmes besoins, ni la même histoire, alors ouvrons le champ des possibles et offrons-nous la possibilité de vraiment le choisir, ce lieu sacré où nous accueillerons notre enfant.

 

  • Oser être libre dans son corps. Quand on lit des récits d’accouchement physiologique, on est saisi par la diversité des vécus. Certaines femmes accouchent aux toilettes, l’archétype du lieu intime, sombre et calme qui permet le lâcher prise profond nécessaire à l’ouverture du passage pour l’enfant. D’autres accouchent debout, hilares en dansant avec le soleil. Certaines somnolent des heures durant et ne ressentent presque pas la douleur, d’autres gémissent, grognent puis lancent des cris stridents, comme traversées par une force si intense qu’elle les terrasse. Une même femme peut vivre deux, trois, quatre accouchements complètement différents les uns des autres. Alors la seule règle est d’oser lâcher toute attente et aussi toute honte et de suivre son corps, c’est lui qui sait nous guider. Prendre les positions qu’il nous indique, produire les sons qui viennent du tréfonds, manger quand on en a besoin, mais aussi vomir ou déféquer. Bref, s’accueillir et respecter notre corps dans toute sa capacité à faire naître notre bébé.

 

  • Accueillir inconditionnellement le chemin qui nous est proposé. Etre libre d’accoucher, c’est aussi se libérer de nos croyances, ces prisons mentales : « je ne suis pas capable », « je ne supporterai pas ceci ou cela », « je ne veux surtout pas la péridurale », « la césarienne serait mon pire cauchemar ». Il n’y a pas de « bon » chemin, ni de bonne ou de mauvaise façon d’accoucher. Quand on s’informe sur la physiologie et qu’on travaille dur à rassembler autour de nous les conditions pour une naissance sereine de notre enfant, il arrive un moment où on a très peur à l’idée que ce « rêve » soit « gâché ». Soit parce qu’il se passe quelque chose qui fait qu’on doit re-médicaliser l’accouchement, soit parce que les équipes ne respectent pas nos choix, soit parce qu’on se sent soi-même dépassée par quelque chose qu’on n’avait pas anticipé. Et pourtant, être vraiment libre, c’est trouver cet équilibre délicat entre intention et lâcher prise, c’est ainsi accueillir qu’on ne peut pas tout contrôler.

 

Finalement tout pourrait se résumer alors ainsi : lâcher le contrôle pour se connecter à notre « foi », au sens de la confiance qu’on place dans la vie, et ainsi en nous-mêmes. Se libérer de nos peurs pour cheminer dans la joie vers nous-mêmes et l’extraordinaire puissance de vie qui s’exprime à travers nous, quand on accouche et bien au-delà.

 

« J’ai accouché librement » est un article paru dans le magazine « Libres »